Quand les Etats-Unis font la guerre pour faire gagner les ayatollahs
C’est la question que pose Thomas E. Ricks, ex-journaliste américain du Wall Street Journal et du Washington Post, lauréat du prix Pulitzer.
« Militaire ou diplomatique, peu importe, nous avons gagné une relation à long terme avec l’Irak. Nous y avons investi beaucoup de sang. Et que vous approuviez ou non la façon dont nous y sommes arrivés, le fait est que nous avons, en faisant beaucoup de sacrifices, mis en place une démocratie relativement stable qui essaie d’œuvrer ensemble pour diriger le pays », a déclaré Leon Panetta, nommé directeur général de la CIA par Barack Obama avant d’être promu au poste de secrétaire à la Défense, le 1er juillet 2011. Pour Thomas E. Ricks, la vérité est bien loin de l’appréciation de Panetta. Dans un long article intitulé « Qui a gagné la guerre d’Irak », il réduit systématiquement à néant les affirmations propagandistes de l’Administration américaine, quelle soit « Bush » ou « Obama ».
Les Etats-Unis ont perdu 4474 soldats (pour ne parler que de ceux qui ont été officiellement recensés). Des milliers de soldats ont été blessés, dont un grand nombre d’invalides, des milliards de dollars ont été dépensés, provoquant la faillite de l’économie américaine. « Et qu’avons nous obtenu en retour ? demande Thomas Ricks…. du sang contre du pétrole ? » Une victime américaine de la guerre sur huit est morte en assurant la sécurité d’un convoi de pétrole, note le journaliste. Et en dépit des affirmations de Panetta selon lesquelles l’Irak veut œuvrer avec les Etats-Unis, le gouvernement suit sa propre politique, « virtuellement allié avec l’Iran et loin des rêves géopolitiques américains ». Le gouvernement américain « vendra des équipements militaires aux Irakiens et gagnera de l’argent, mais au bout du compte, George Bush a fait la guerre et tout ce que nous avons gagné, c’est le remplacement d’une dictature grossière par un Etat semi policier grossier »
Le gagnant serait-il l’Irak ? Non, répond Ricks. « Après avoir été écrasé sous la botte de l’armée américaine, la société civile irakienne s’est trouvée déchirée, a subi huit années de guerre civile entre les factions, a enregistré plus de 100 000 morts et est aujourd’hui le siège d’une succursale, petite mais efficace, d’al-Qaïda. » Les Etats-Unis sont partis sans avoir négocié le moindre accord entre les Irakiens kurdes et arabes, « ils ont abandonné la marmite en pleine ébullition ». Le gouvernement américain, estime Ricks, s’est tenu « silencieusement à l’écart de la guerre des factions pendant ces derniers mois, laissant la guerre entre les mains des Irakiens ».
Concernant la question kurde, les Etats-Unis ont-ils permis un règlement ? Non. Ils n’ont pas réussi à établir des frontières kurdes, si bien que les Iraniens bombardent le « Kurdistan » par l’est, tandis que les Turcs les bombardent par l’ouest. La Turquie, fait remarquer Ricks, est membre de l’Otan. « Peut-on imaginer que le gouvernement américain resterait assis sans rien dire si l’Allemagne bombardait la Pologne la semaine prochaine ? » interroge Ricks.
L’Iran pourrait-il être le gagnant ? Non seulement l’Iran a perdu un ennemi le jour de la pendaison de Saddam Hussein mais il a gagné un allié, estime Risk, avec la nomination de Nouri al-Maliki , opposant à Saddam Hussein exilé en Iran et en Syrie, responsable du parti Dawa pour les actions contre les intérêts irakiens à l’étranger, retourné en Irak en 2003. Il devient alors le n°2 du « comité de débaassification » chargé de « purger » l’Etat et les forces armées et de sécurité des anciens cadres du parti Baas. Chiite actif, il devient Premier ministre en 2006, ministre de la Défense et ministre de l’Intérieur. Islamiste chiite conservateur lié aux milices coupables d’exactions communautaires, il bénéficie toujours du soutien des Etats-Unis. Allié également de l’Iran, Moqtada al-Sadr, fils de l’ayatollah chiite irakien Mohammad Sadeq al-Sadr, exécuté sous Saddam Hussein, et à la tête de la milice Armée du Mehdi opposée à la présence américaine en Irak. Les deux hommes, selon Ricks, sont toujours très proches de l’Iran et poursuivent leur politique de rapprochement entre l’Irak et l’Iran.
Mais là ne s’arrête pas l’intérêt de l’Iran pour l’Irak. Les liens économiques et socio-religieux ne cessent de se développer entre les deux pays. Et c’est en cela que l’Iran est le véritable vainqueur de l’invasion américaine. Le montant annuel des échanges commerciaux entre les deux pays est estimé à 4 ou 5 milliards de dollars et ne cesse de croître. L’Iran fournit 9400 barils de gasoil par jour à l’Irak pour la production d’électricité. L’Irak a signé un accord de 365 millions de dollars pour l’installation d’un pipeline pour importer le gaz naturel iranien en vue d’alimenter les centrales électriques du pays. Le pipeline fournira 25 millions de mètres cube de gaz naturel iranien par jour aux centrales de Sadr, el Quds et Baghdad sud. « L’Iran joue un rôle très positif en Irak et rien ne s’oppose à un renforcement des relations entre les deux pays », a déclaré Hoshiar Zibary, le ministre irakien des Affaires étrangères.
Parallèlement aux accords pétroliers et gaziers, le secteur du tourisme religieux est en plein développement dans le cadre des accords entre les deux pays. Les chiites iraniens se sont toujours rendus en Irak pour effectuer leur pèlerinage dans les villes saintes irakiennes, y compris sous Saddam Hussein, mais aujourd’hui, leur nombre s’est multiplié et le tourisme religieux est devenu une source de revenus très importante. Les agences de voyage iraniennes contrôle le tourisme religieux dans les villes saintes chiites de Najaf et de Karbala. Elles ont des intérêts dans l’hôtellerie qui se trouve dans les mains de propriétaires iraniens. Elles proposent des voyages groupés avec les sites religieux de Machhad et s’adressent également aux Libanais. Les Iraniens assurent également la sécurité des touristes et la construction à grande échelle d’hôtels. Les groupes hôteliers iraniens se sont donnés pour objectif de doubler la capacité hôtelière des sites chiites d’ici trois ans.
L’influence de l’Iran dans l’économie iranienne est également visible sur les marchés où on trouve légumes et fruits iraniens à profusion et dans le textile et les vêtements où le « Made in Iran » concurrence largement le « Made in China ».
Thomas Rick qui a visité récemment l’Irak et a observé de près la société irakienne pour répondre à la question. L’Iran a gagné la guerre.
Site de Thomas E. Ricks : ForeignPolicy.com