C’est la question que se pose Alice Walker, le grand écrivain américain, Prix Pulitzer, dans le Guardian online et à laquelle elle répond très clairement. Nous traduisons ici ses explications.
« Que pourrais-je faire d’autre ? Je vais avoir 67 ans, j’ai déjà vécu une longue et fructueuse vie, une vie dont je suis satisfaite. Il me semble que pendant cette période qui me conduit à la vieillesse, il soit bon de moissonner la récolte de ce dont nous avons compris l’importance et de la partager, particulièrement avec les jeunes. Comment apprendraient-ils autrement ?
Notre bateau, Audacity of Hope, portera des lettres aux gens de Gaza. Des lettres exprimant la solidarité et l’amour. C’est là toute sa cargaison. Si les militaires israéliens nous attaquent, ce sera comme s’ils attaquaient le facteur. Cela devrait entrer dans les annales de l’histoire du comique. Mais s’ils persistent dans leur attaque, nous blessent, voire nous tuent, comme ils l’ont fait contre des militants de la précédente flottille, Freedom Flotilla I, que faudra-t-il faire ?
Il y a une scène dans le film Gandhi que je trouve très émouvante : c’est quand des manifestants indiens désarmés se mettent en ligne pour se confronter aux forces armées de l’Empire britannique. Les soldats les battent sans pitié, mais les Indiens, tirant avec précaution leurs blessés et leurs morts sur le côté, continuent d’avancer.
Avec cette image de ces braves disciples de Gandhi, j’ai aussi la conscience de payer une dette aux militants juifs des droits civiques qui ont risqué la mort pour venir sse mettre du côté du peuple noir américain dans le Sud, lorsque nous en avions besoin. J’ai une dette particulière envers Michael Schwerner et Andrew Goodman qui entendirent nos appels au secours – notre gouvernement, alors, comme maintenant, était glacialement lent à assurer une protection aux manifestants non-violents – et se mirent à nos côtés.
Ils prirent les balles de quelques « bon vieux gars » de Neshoba County, Mississipi et furent battu et tués avec James Chaney, un jeune homme noir d’un courage formidable qui mourut avec eux. Ainsi, même si notre bateau s’appelle Audacity of Hope, il portera, dans mon coeur, les bannières de Goodman, Chaney, Schwerner ?
Et que dire des enfants de Palestine, qui furent ignorés dans le dernier discours de notre président sur Israël et la Palestine, et dont l’existence de misère, de terreur et de ségrégation, a subi, récemment, l’affront d’une standing ovation du Congrès pour le Premier ministre israélien ?
En tant qu’adultes, nous devons affirmer, constamment, que l’enfant arabe, l’enfant musulman, l’enfant palestinien, l’enfant africain, l’enfant juif, l’enfant chrétien, l’enfant américain, l’enfant chinois, l’enfant israélien, l’enfant américain indien, etc… est l’égal de tous les autres sur la planète. Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour mettre fin aux comportements qui terrorisent les enfants.
Il m’est arrivé de demander, pendant la période de la ségrégation, à mon meilleur ami et mari qui était le défenseur le plus acharné des droits des Noirs que j’ai jamais rencontré : Comment as-tu trouvé ton chemin jusqu’à nous, le peuple noir, qui avait tant besoin de toi ? Quelle force a façonné ta réponse à la grande injustice que vivait le peuple noir à l’époque ? Je pensais qu’il allait citer les discours, les marches, l’exemple de Martin Luther King Jr, ou d’autres du mouvement qui faisaient preuve d’un courage d’un grand impact. Mais non. Après avoir réfléchi, il raconta un épisode de son enfance qui l’avait conduit, inévitablement, jusqu’à notre combat.
Petit garçon, il rentrait à la maison depuis la yeshiva, l’école juive à laquelle il assistait après la fin de l’école régulière. Sa mère, une libraire, travaillait encore ; il était seul. Il était fréquemment harcelé par des garçons de l’école régulière et un jour, deux de ces garçons lui arrachèrent sa kipa et, le narguant, s’enfuirent avec, pour la jeter, finalement pardessus une clôture.
Deux garçons noirs apparurent, virent ses larmes, évaluèrent la situation, et se mirent après les garçons qui avaient pris sa kipa. Ils les poursuivirent, les attrapèrent et les obligèrent à sauter la clôture, ramasser la kipa, la dépoussiérer et la replacer respectueusement sur sa tête.
C’est la justice et le respect que je veux que le monde dépoussière et remette– sans attendre et avec précaution – sur la tête de l’enfant palestinien. La justice et le respect ne seront pas parfaits car l’injustice et l’irrespect ont été trop importants. Mais je crois que nous avons raison d’essayer.
Voilà pourquoi je suis sur la Flottille.
(Voir la version plus longue sur alicewalkersgarden.com/blog