La diplomatie américaine se démarque de la position française, redonnant tout crédit au régime de Bachar al-Assad.
Au moment où la France, par la bouche de son chef de la diplomatie, Alain Juppé, décrète que « le régime syrien a perdu sa légitimité » et que Bachar al-Assad « a franchi le point de non retour », les États-Unis multiplient les gestes d’apaisement vers Damas. Par sa rigidité, la diplomatie française est ainsi en train de dilapider tout le capital de sympathie qu’elle avait accumulé dans ce pays stratégique depuis l’élection de Sarkozy en 2007. Le ministre syrien des Affaires étrangères, réagissant aux propos incendiaires de Juppé, a été catégorique : la Syrie suspend son adhésion à l’Union pour la Méditerranée (coquille vide, il est vrai) et ne considère plus l’Europe en général et la France en particulier, comme faisant partie de son horizon géopolitique, et qu’elle va désormais regarder prioritairement vers le Sud et l’Est. Et peut-être vers les États-Unis.
Car au moment où Paris rompt pratiquement avec Damas, les États-Unis gèrent le dossier syrien avec plus de souplesse et de pragmatisme. Même au sommet de la répression, Barack Obama n’a jamais considéré le régime syrien comme « illégitime ». Les responsables américains n’ont par ailleurs jamais affirmé que les manifestations de l’opposition aient toutes été « pacifiques ».
Robert Ford, l’actuel ambassadeur américain à Damas (un parfait arabophone qui a déjà occupé deux postes importants dans le corps diplomatique américain, notamment comme ambassadeur à Bagdad puis à Alger), a dit tout haut ce que les chancelleries européennes et leurs services savent parfaitement, à savoir que l’insurrection syrienne était en partie armée dès les premiers jours, comme l’avait affirmé d’ailleurs le ministre russe des Affaires étrangères, Serguei Lavrov… Dans un entretien explosif accordé à la chaîne d’informations saoudienne Al Arabiya, ce diplomate américain chevronné a avoué que l’attaché militaire américain qu’il avait dépêché à Jisr al-Choughour pour enquêter sur ce qui s’est réellement passé, avait été affirmatif. Il est clair, a-t-il conclu, que « l’attaque (contre le QG des forces de sécurité de Jisr) a été bien préparée, si l’on en juge par le professionnalisme de son exécution, et que ceux qui ont perpétré l’attaque sur le détachement (de policiers) avaient une solide expérience des tactiques de sécurité. » Or, à l’époque, la version officielle française et européenne était calquée sur celle de l’opposition syrienne basée en Turquie, affirmant que les 300 militaires tués dans le soulèvement étaient en fait des objecteurs qui avaient refusé de tirer sur les manifestants civils et avaient été exécutés par les brigades fidèles au régime.
Cette déclaration de l’ambassadeur américain à Damas marque peut-être un tournant, dans la mesure où les États-Unis étaient à la tête de la campagne de propagande anti-Bachar, et niaient que des groupes d’opposants armés aient pu être à l’œuvre, à Jisr ou ailleurs. Même par inadvertance, le représentant de Washington vient de mettre sérieusement à mal la fiction, largement véhiculée par les médias occidentaux, d’une opposition civile, pacifique et désarmée, affrontant à mains nues les chars du régime baasiste.
Il est intéressant de remarquer que, dans un autre entretien – récent – à Al Arabiya, M. Ford avait affirmé que les États-Unis « soutiennent le dialogue entre le gouvernement syrien et l’opposition intérieure, dans le but de définir un cadre politique qui permettrait d’en finir avec la crise que connaît le pays. » Ainsi au moment où Paris mettait en doute la sincérité du régime dans sa volonté de précéder à des réformes substantielles et minimisait la réunion de près de 200 opposants dans un hôtel de Damas, Washington a salué cette réunion comme un pas vers le dialogue et les réformes.
Coïncidence, cette réunion, autorisée par le régime dont l’agence officielle Sana a publié le communiqué final, et ce nouvel appel à dialoguer interviennent alors que Bachar al-Assad recevait à Damas une délégation du Congrès américain, dirigée par le représentant démocrate Dennis Kucinich.