Droits de l’homme Rim, traumatisée, a décidé de clore un chapitre douloureux de sa vie. Non sans avoir voulu témoigner.
En quittant son domicile au volant de sa Clio pour se rendre d’urgence auprès d’une parente, Rim Talbi, 28 ans, ne s’attendait pas à ce que, ce jour d’octobre 2009, le ciel lui tombe sur la tête. Dans le Grand Tunis, le quartier d’El-Manar a une excellente réputation. Ses résidents appartiennent à la classe moyenne : hauts fonctionnaires, médecins, universitaires. Ils ont posé leurs valises au milieu de jardins minutieusement aménagés et cultivent les valeurs familiales, sans ostentation, mais avec la certitude qu’elles constituent un « plus » dans la vie sociale.
Rim aligne sa voiture au bord du trottoir à proximité d’un chantier où des ouvriers achèvent la énième construction d’un quartier en pleine expansion. Elle se saisit de son téléphone portable pour prévenir sa parente qu’elle est arrivée. En pleine conversation, elle sent que son bras libre, appuyé sur le bord de la fenêtre de la voiture, est effleuré par une main étrangère. Elle tourne son regard vers l’extérieur pour apercevoir un homme corpulent, qu’elle ne connaît pas et qui lui lance des borborygmes dont elle ne parvient pas à saisir la portée. Elle se souvient seulement que le nom de Dieu est prononcé à plusieurs reprises comme autant de blasphèmes qui lui sont adressés sur un ton véhément. Que peut-il lui reprocher ? Rien qu’elle sache.
Scène d’hystérie
L’homme – elle apprendra plus tard qu’il s’appelle Ben Brik – s’engouffre dans sa propre voiture stationnée devant la « Clio », claque la porte, met le moteur en marche, enclenche la marche arrière et, d’un coup d’accélérateur rageur, fait bondir son véhicule qui heurte violemment le pare-chocs de l’auto de Rim. Penchée sur son volant, elle reçoit le choc en pleine poitrine. Son souffle est coupé. Elle met quelques secondes pour se rétablir et descendre de la « Clio » afin de constater les dégâts éventuels. Le pare-chocs est en partie abîmé. Elle s’adresse au conducteur pour lui demander d’établir un constat amiable pour les assurances, comme il s’en rédige des milliers par jour entre automobilistes de bonne foi. Un attroupement de badauds se forme autour d’eux. C’est là que, pris d’une colère irrépressible, Ben Brik se jette sur elle, visant le cou. Prise de court, elle tente de se dégager, alors qu’il continue à la secouer en tirant sur son pull qui finit par se déchirer. Il lui mord un doigt jusqu’au sang, y laissant les traces de ses dents.
« Il était dans un état hystérique », se rappelle encore Rim, qui a du mal à effacer la violente scène de sa mémoire. « Je ne suis pas habituée à ce genre de comportement, ni dans ma famille ni dans mon voisinage », explique-t-elle. Son forfait accompli, Ben Brick, encore écumant, reprend sa voiture et quitte les lieux en trombe, laissant sa victime dans un état de quasi-hébétude. Elle doit à un ouvrier, accouru aux cris des deux protagonistes, d’avoir identifié son agresseur. Il avait inscrit le numéro minéralogique de la voiture en fuite sur son portable. Pour la police, cela a été un jeu d’enfant de le retrouver. Une main courante est établie par le policier qui reçoit Rim accompagnée de son époux, cadre bancaire, en état de choc. Le certificat médical établi par trois médecins, au vu de plusieurs examens effectués à l’hôpital Charles-Nicolle, est très sévère. Un arrêt de travail de quinze jours est prescrit à Rim, belle femme brune qui dirige une société de communication, Tunisia Dream Events.
La suite est confiée à la justice. Non sans qu’une tentative de « conciliation » ait été faite pour dissuader la victime de retirer sa plainte. « Tu peux demander une indemnité d’une centaine de milliers de dinars et même plus », lui font miroiter les intermédiaires, un avocat et un journaliste, dont elle souhaite taire les noms. « Je ne pouvais pas pardonner un tel acte visant une femme de la part d’un homme qui se veut cultivé et qui prétend défendre le droit des femmes », martèle Rim. Condamné à six mois de prison qu’il a accompli au jour près, malgré de multiples interventions prenant divers prétextes, pour l’en dispenser ou alléger sa peine, Ben Brik est de nouveau libre. Il vient de séjourner en France où il a fait dire – marque d’une mégalomanie qui ne le quitte jamais – qu’il devait être reçu par Nicolas Sarkozy, excusez du peu.
« Des journaux, des radios et des télévisions en France ont parlé de mon affaire sans jamais me contacter pour prendre ma version des faits. Ils se sont contentés de celle de mon agresseur qui, pour se dédouaner, a inventé que j’étais de mèche avec la police. Elle m’aurait utilisée comme appât pour lui tendre un piège et le punir de son opposition au régime. Je n’ai jamais entendu parler de ce prétendu opposant, ni directement, ni dans les milieux de la communication que je fréquente », jure Rim qui a décidé de clore ce douloureux chapitre.