Dans un discours de plus d’une heure, le colonel Kadhafi a menacé les manifestants de terribles représailles s’ils persistaient dans leur opposition.
Le colonel Mouammar Kadhafi, confronté à un soulèvement populaire sans précédent depuis une semaine, a juré de rétablir l'ordre au prix d’une « boucherie » s’il le faut, dans un discours hallucinant où il a promis de se battre « jusqu’à la dernière goutte » de son sang, en qualifiant ses adversaires de « rats ».
« Ils seront poursuivis un à un, maison par maison », a-t-il dit, en appelant la police et l'armée à reprendre la situation en main. «Tout manifestant armé mérite la peine de mort » a-t-il ajouté dans ce discours enflammé, prononcé dans le décor de sa résidence, bombardée en 1986 par Etats-Unis en représailles contre des opérations « terroristes » imputées à Tripoli.
Il a appelé ses partisans (« vous qui m'aimez, et qui voulez vivre dans la gloire et la dignité que je confère à la Libye ») à s’emparer de la rue et à pourchasser les « rats » (ses opposants politiques). « Nous n'avons pas encore fait usage de la force, mais nous y recourrons si la situation le requiert, conformément à la constitution et aux lois libyennes », a encore dit Kadhafi, en évoquant les précédents de Tien An-men en Chine et des représailles russes sanglantes en Tchétchénie pour se justifier. « Je ne suis pas un président pour démissionner, mais, pour l’éternité, le chef d’une Révolution. Je suis un bédouin, sorti de la tente et des oasis, qui dirige une révolution, je ne fuirai pas mon pays », a-t-il encore prévenu sur un ton véhément, vindicatif, dans ce qui été qualifié par ses adversaires de « one man show tragique ».
Le « Guide la Révolution », dénoncé par un grand nombre de ses diplomates à l’étranger, peut compter encore sur certaines tribus de l’ouest (frontière tunisienne) et surtout sur sa garde prétorienne de 60 000 hommes pour tenter de rétablir son autorité. Selon des opposants libyens à l’étranger, il s’appuierait aussi sur des milliers de « mercenaires » africains (Tchadiens, Mauritaniens et Maliens) qu'il a solidement équipés.
Dans la soirée, son ministre de l'Intérieur, Abdel Fatah Younes, membre du groupe des « Officiers Libres » – qui avait renversé la monarchie Senoussi en 1969 – a annoncé qu’il démissionnait de toutes ses fonctions et se ralliait à la "révolution", dans des déclarations diffusées en direct par les télévisions Al-Arabya et Al-Jazeera. C’est la première défection politique d’importance, alors que des rumeurs continuent à circuler selon lesquelles le ministre de la Défense, Abou Bakr Younes, autre membre du groupe dirigeant du premier cercle de Kadhadi, est aux arrêts après avoir émis de vives réserves sur la vigueur de la répression.
« J'appelle toutes les forces armées à répondre aux demandes du peuple en solidarité avec la révolution », a déclaré le ministre démissionnaire, qui est apparu vêtu d'un uniforme militaire, arborant une impressionnante rangée de médailles. Avant de prendre le portefeuille de l’Intérieur, il était chef des « forces spéciales » libyennes.
Les violences meurtrières, d'abord concentrées à l'Est, ont touché la capitale dimanche soir alors que, selon des témoins, le calme était revenu lundi soir à Benghazi, désormais aux mains des insurgés, ainsi que plusieurs autres villes de l'est du pays.
D'après l'organisation Human Rights Watch (HRW), la répression a déjà fait « au moins 62 » morts à Tripoli seulement depuis dimanche. Les milices, les forces de sécurité fidèles à Kadhafi sévissent de façon terrible, cassent les portes, pillent (…). Il est impossible de retirer les corps des rues, on se fait tirer dessus », ont raconté des travailleurs tunisiens ayant fui le pays. Quelque 5 000 ressortissants tunisiens ont fui le pays depuis le début du soulèvement.
Réuni en urgence, le Conseil de sécurité de l'ONU a demandé « la fin immédiate » des violences et condamné la répression des manifestants et les exactions contre la population civile. La secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a parlé d'un « bain de sang totalement inacceptable ». Plusieurs élus du Congrès des Etats-Unis ont demandé de réactiver les sanctions contre le régime libyen. La Ligue arabe a décidé pour sa part de suspendre la participation de la Libye aux réunions de l’ensemble des institutions « jusqu'à ce que les autorités libyennes acceptent les revendications » du peuple libyen « et assurent sa sécurité ».
Les Européens étaient divisés sur d'éventuelles sanctions, certains redoutant un retour de bâton comme l’ouverture des vannes de l'immigration. Des milliers d’Africains guettent sur les plages libyennes la moindre brèche pour s’embarquer sur des bateaux de pêche en direction de l’Italie. Rome craint ainsi de voir affluer entre 200 et 300 000 migrants africains si la Libye cesse de bloquer les départs de ces « harragas ».